Sauf que les cheveux jaunes ça ne fait pas bien à tout le monde.

mardi 17 juillet 2007

P'tite lecture des jours de pluie...

Ondes

Par la fenêtre de sa chambre, vautrée sur son siège, Marine observe les journées qui passent. Elle a la désagréable impression de vivre dans une bulle de verre. C’est déjà l’automne. Le tableau qui se dessine aujourd’hui doit être magnifique pour le commun des mortels. Le rosier dénudé laisse poindre quelques bourgeons écarlates qui hésitent à éclore. Les rayons dorés du soleil enflamment le feuillage des érables. Certaines feuilles semblent fatiguées de se raccrocher à la vie; lors des bourrasques, elles se laissent aller vers la mort, virevoltant jusqu’à la terre. Marine estime que cette mort n’est pas vaine puisqu’elle contribuera à la renaissance de la nature au printemps venu.

Malgré sa fragilité, Marine se décide enfin à sortir de la maison pour donner corps à de nouvelles sensations. Elle veut réapprendre l’automne. Pourtant, dès qu’elle met le nez dehors, elle est prise de nausées. Les effluves automnales lui rappellent cruellement l’accident. Les rafales de vent sont polaires, mais il n’est pas question qu’elle abandonne maintenant. Elle s’emmitoufle convenablement et se laisse mener par ses pas.

D’après son psychologue, c’est en prenant des initiatives qu’elle reprendra goût à la vie. Elle veut s’en sortir, elle a déjà fait de grands pas. Malgré cela, sa vie ne pourra jamais plus être comme avant. Personne ne peut comprendre l’enfer qu’elle vit depuis qu’elle a perdu l’ouïe.

*

Choriste et pianiste de talent, elle jouait naturellement de la plupart des instruments. Depuis l’enfance, la musique avait une place de prédilection dans sa vie. Marine passait davantage de temps à jouer, à écrire ou à écouter de la musique qu’à faire quoi que ce soit d’autre. Certains la trouvaient étrange, mais elle ne s’en souciait guère, puisqu’il y avait la musique.

Ses parents étaient persuadés qu’elle avait reçu un don. Au berceau déjà, elle souriait et émettait des gazouillis qui reproduisaient les mélodies ambiantes. Très jeune, elle se dandinait aux rythmes des bruits de la vie quotidienne et semblait en transe, en symbiose avec les sons. Son pédiatre, surprit de l’emprise que la musique avait sur elle, la pensait atteinte d’autisme. Vers l’âge de trois ans, elle avait passé plusieurs tests. Il avait finalement constaté qu’elle était une enfant formellement normale pour son âge.

L’accident de voiture de l’automne passé avait déclenché un cataclysme dans la vie de Marine. Les médecins qui l’avaient examinée n’arrivaient pas à identifier la source de son mal : aucune lésion n’apparaissait au cerveau ni aux tympans. Marine avait compris que ce serait sans doute irréversible. Plusieurs spécialistes avaient espéré trouver la solution miracle. Les médecines alternatives n’avaient rien à lui offrir. C’était finalement auprès de son psychologue, Monsieur Rivard, qu’elle sentait sa vie renaître peu à peu.

*

Dès les premiers jours de sa surdité, Monsieur Rivard lui suggère d’écrire tout ce qu’elle ressent depuis l’accident. Maintenant, l’exercice qu’il lui demande de faire est simple, mais angoissant. Elle doit lire ce qu’elle a écrit il y a de cela un an.

Marine s’arrête. Elle s’adosse à son rocher préféré de la plage. En y glissant légèrement la main, elle se remémore certains souvenirs. Les nuages ne font qu’un avec la mer. Elle se sent enveloppée. Elle respire profondément... Elle ouvre son carnet, l’observe sans le lire, puis le referme aussitôt. C’est un choc de constater l’état de sa calligraphie. Quel en sera le contenu?

Elle lit tranquillement…

Octobre 1999

Pourquoi m’avoir donné un tel don pour me l’enlever si hâtivement? Tu suces le sang de mes veines et la moelle de mes os. Pourquoi moi ? J’ai toujours été pieuse, honnête, certains humains pèchent sans scrupule et ne subissent aucun châtiment. Que t’ai-je fait pour subir cela ?

J’ai toujours pensé que la vie ne mériterait pas d’être vécue sans musique. J’ai toujours senti la nécessité de laisser s’infiltrer en moi les mélodies offertes par l’univers. ELLES ME TIENNENT EN VIE! Elles m’abreuvent de leurs rythmes et font surgir en moi des mélanges de couleurs qui dansent et créent mon besoin de bouger, de danser, telle une aurore boréale. La musique a toujours su apaiser mes pleurs, me rendre plus forte… puiser en moi le meilleur et parfois faire sortir l’abject qui y sommeillait. Qu’est-ce qui me réconfortera maintenant? Qu’est-ce qui me redonnera le goût de vivre?

Que vais-je devenir? Je ne suis pas Beethoven, je n’ai pas son génie. J’ai peur d’oublier, de me vider de ma musique. J’AIMERAIS MIEUX MOURIR! Seuls des souvenirs me resteront et me rappelleront sans cesse ma perte. Jamais plus je n’aurai la chance de créer ma propre symphonie, de remplir des salles de spectacles, de connaître le bonheur, la chaleur des sons.

Mon cœur restera à jamais figé dans la glace. Même les feux de l’enfer ne pourront le réchauffer.

Tout est noir. C’est le vide absolu, les couleurs ne dansent plus. Je vois, mais mes yeux ne scintillent plus, ils sont couverts du givre de l’indifférence, les couleurs de mon existence sont pauvres et ternes.

Je veux lacérer mes oreilles stériles! Peut-être l’ouïe me reviendra-t-elle? Les médecins ne comprennent pas ce qu’il m’est arrivé. Ce pourrait être psychologique d’après eux. Pour qui se prennent-ils? Ce n’est que l’écho de leur incompétence qui les fait penser ainsi.


Marine ferme les yeux quelques secondes et se relève péniblement. Elle longe le rivage en se laissant imprégner de l’air salin et des embruns. Elle sent à peine le froid, ses pleurs la réchauffent.

Marine veut évoquer en elle le son des vagues, mais, déjà, ce souvenir est disparu. Elle s’accroupit, pose son oreille sur le sable frais pour ressentir les vibrations que les vagues créent à leur arrivée. Elle a l’impression de les entendre à nouveau…mais ce n’est pas assez puissant.

Elle se traîne dans l’eau jusqu’à ce que les vagues la percutent, qu’elle ressente les mouvements dans tout son corps…mais…

Marine abandonne paisiblement son corps au fond de l’onde. Elle laisse le liquide infiltrer toutes les pores de sa peau, telle une musique. Et, pour la première fois depuis longtemps, elle se sent aussi sereine qu’un fœtus dans le ventre de sa mère.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tu écris bien Marie-Pascale.il y a t-il un talent artistique que tu n'as pas?Je crois bien que non,il y a sûrement un ange qui t'a choyée dans ton berceau.BisousxxxLoulou